
Pourquoi se fait-on tatouer ou percer ? Quels sont les enjeux psychiques de ces pratiques très à la mode ?
Le tatouage et le piercing sont à la mode. Quel paradoxe! En effet, la mode est par définition changeante et le comportement de se tatouer a des conséquences définitives. Aussi, lorsque nous souhaitons orner notre corps d'un tatouage, il peut être intéressant de ralentir pour se poser quelques questions pour ne pas se laisser happer par un phénomène de mode pour lequel, il sera dur de revenir en arrière dix ans plus tard. Dans notre société, il est difficile de se satisfaire de son corps et d'apprendre à vivre en paix avec lui. Toute une industrie à comme viser de l'améliorer ou de le transformer.
Il est tout à fait possible d’apprivoiser son corps en l’ornementant de tatouages ou de piercings. Il s’agit de gestes beaucoup plus importants que le simple fait de se maquiller ou de se colorer les cheveux car ils consistent en des effractions du corps pouvant être définitives et non pas sans danger sanitaire (infections, allergies, etc.). Le paradoxe de ces comportements est, qu’habituellement, en occident, cette démarche d’ornement suit le principe de la mode où l’intérêt se situe plus dans l’image et la distinction de l’autre plutôt que dans la valeur symbolique de celui-ci. Dans de nombreuses civilisations, le tatouage ou le piercing est un art corporel, un art de vivre, plus encore, une philosophie. Ils sont une marque d'appartenance à une communauté et un facteur d'intégration au cours de rites initiatiques car, plus que leur beauté plastique, ils sont porteurs d’une charge symbolique.
Par contre, en Occident, le tatouage ou le piercing était initialement le signe d'une différence ou d'un esprit rebelle. La question est de savoir si les européens modernes retrouvent des significations dans celui-ci. La seule histoire symbolique du tatouage nous renvoi aux années sombres du nazisme. Pourtant, ces dernières années, se faire tatouer ou se percer est devenu un véritable phénomène de société touchant les jeunes comme les adultes et dans toutes les classes sociales. La mode est une manière passagère de vivre en fonction d’une époque et d’un environnement. Un comportement, une manière de parler, un vêtement, un objet ou un ornement étiqueté comme beau à un instant peut devenir vite kitsch et ressurgir vintage quelques années plus tard (Souvenons-nous de nos goûts pendant les années 70 et ce qu’ils sont devenus ensuite). Si il est facile d’allonger, de raccourcir ou de teindre des cheveux, il est plus difficile, à l’heure actuelle, de modifier ou d’effacer un tatouage. Comment un tatouage sur une peau jeune et tonique évoluera sur une personne du troisième et du quatrième âge ?
Quelle sera notre vision de nos futures maisons de retraites avec ces cohortes de gens tatoués à la peau fripée ? Souvenons-nous de la gondole de Venise que nos grands-parents avaient ramené de voyage ou de cette poupée de coquillage qu’ils trouvaient très beaux. Ces objets représentaient beaucoup à leur époque. Qu’en est-il maintenant ? Les goûts et les techniques évoluent de plus en plus vite. Est-on véritablement prêt à marquer ainsi le temps ? N’est-ce pas un signe de pauvreté culturelle et de la difficulté d’être simplement soi que de consommer des comportements culturels qui ne sont pas les nôtres ? A la mode du tatouage suivra peut-être la mode du détatouage, de la réfection du tatouage ? De nouveaux marchés économiques risquent de s’ouvrir !
Le marquage de son corps revêt différentes significations :
- Le tatouage et le piercing permettent de s’intégrer dans un groupe social. La personne tatouée appartient à la famille des tatoués à vie. L’appartenance à une telle communauté participe à restaurer une identité fragile en trouvant de la réassurance dans le lien imaginaire au groupe.
- Il peut être une tentative de s’affirmer lors que l’on est confronté à une fragilité narcissique. C’est à dire à une difficulté à Etre soi. En outre, cet apprentissage passe par des rites de passage entre l’enfance et l’âge adulte. En France, ceux-ci on disparu. Le service militaire était l’un des derniers. Le baccalauréat a de grandes difficultés à remplir ce rôle et il est mis régulièrement en question. Dans une démarche ordalique[1], l’adolescent marque son corps. Il montre ainsi qu’il « tue » son corps d’enfant et qu’il est désormais maître de son corps, donc qu’il est adulte.
- Ce marquage corporel est aussi utilisé comme un moyen de séduction. Dans de nombreux forums, les filles se demandent si cela plaît aux garçons ou l’affirment en voulant se rassurer. Qu’en sera-t-il demain ? Lorsque l’individu présente des doutes sur ses capacités de séduction ou que son corps ne correspond pas à ses critères esthétiques, il peut être tentant d’y remédier par un marquage corporel. Il essaie de transformer son corps en œuvre d’art et ainsi augmenter sa valeur. Il sert aussi de paravent au malaise intérieur dans la relation aux autres. Nue, la personne a mis en place une couche supplémentaire pour se cacher ou se protéger.
- Marquer son corps n’est pas un acte anodin. Il soulage à court terme le malaise interne même si la confrontation à la douleur du geste et à la peur qu’il engendre prend la forme d’un rite pour essayer de grandir. Il faut en effet du courage pour devenir adulte.
Lorsque l’on désire marquer son corps, il me semble nécessaire de se poser un certain nombre de questions :
- Quel est le sens de cette démarche et de la représentation que l’on a choisi d’afficher plus ou moins discrètement sur son corps ?
- Est on prêt à assumer ce marquage dans 5 ans, dix ans, 50 ans alors que l’on ne sait pas comment notre vie et comment la mode va évoluer ?
Lorsque se tatouer ou se percer est une fausse bonne réponse à des problèmes existentielles, il peut-être l’objet d’une addiction sans fin comme pour la chirurgie esthétique qui ne viendra jamais compenser une faiblesse du Moi. La psychothérapie est la seule réponse thérapeutique. Après le piercing et les implants sous cutanés, quelle sera la prochaine étape ? Une épaule en titane, des implants cérébraux ? La chirurgie a fait de tel progrès que l’on peut imaginer toutes sortes de biotransformation. Quel est la limite ? Pour ma part, un tatouage ou percing doit avoir un sens fort qui va au-delà de l’instant et qui prend en compte notre histoire et notre culture. Pour l’instant, dans notre société occidentale, il n’est souvent qu’un objet de mode ou de consommation. Il n’est qu’une représentation de la difficulté à Etre soi. [1] Conduite ordalique : conduite visant à éprouver le corps afin de s'autoriser à être et à vivre